Deux pharmaciennes licenciées dans une officine de Nouméa pour délivrance de baclofène

Les risques professionnels de la prescription et de la délivrance de baclofène
L’usage du bacloféne, un médicament utilisé dans le sevrage alcoolique, n’est pas sans risque en particulier pour les professionnels de santé qui le prescrivent mais aussi pour ceux qui le délivre .
Dans un contexte particulier de conflit tarifaire entre l’assurance maladie de Nouvelle Calédonie (RUAMM) et les 75 pharmacies de l’île, deux pharmaciennes salariées d’une officine de Nouméa sont en cours de procédure de licenciement à la suite de délivrance de bacloféne hors AMM (ou à posologie hors CODEX).

Un contexte difficile pour les officines à Nouméa

Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie souhaite économiser 700 millions de francs CFP pour contribuer au plan de redressement du RUAMM (Régime Unifié de l’Assurance Maladie), une des cinq branches de la CAFAT, très déficitaire avec un nouveau trou de 3,56 milliards de francs CFP début 2011 et un déficit prévisionnel de 8 milliards pour 2012.
Il y a trois gros postes de dépense :
- Les EVASAM, c’est à dire les gens qu’on évacue pour des raisons de santé en métropole ou en Australie,
- Les frais de pharmacie
- L’hospitalisation publique.

Face à l’ampleur de ce déficit, le plan de redressement du RUAMM prévoit deux milliards de francs CFP de recettes supplémentaires (16,76 millions € ) et 300 millions de francs CFP d’économie ( 2.514 millions € )  :
Le gouvernement souhaite renégocier avec l’Australie les tarifs des hôpitaux publics pour les Evasan.
Le plafond des cotisations sociales a été relevé. Les revenus mensuels dépassant 476 300 francs CFC ( 3991 €) sont désormais assujettis à 5 % de cotisations (3,5 % pour l’employeur, 1,5 % pour le salarié). Gain : 2,2 milliards de francs à partir de 2012. Les indépendants cotiseront plus.
La dotation globale de fonctionnement des hôpitaux a été fixée à un « taux directeur de 4,46, quasiment le plus bas » possible (22,974 milliards de francs CFC pour 2012).
Un arrêté a été pris par Sylvie ROBINEAU [1] , en charge du secteur de la santé au Gouvernement de Nouvelle Calédonie, afin de faire baisser de 9% le prix des médicaments remboursés au 1er janvier 2012.
Entre autres mesures, il y a aussi une incitation à proposer le remplacement des princeps par des génériques quand ils existent, sous peine de non-remboursement. En effet contrairement à ce qui se passe en métropole, les génériques n’ont pas la cote en Nouvelle-Calédonie ! L’économie attendue sur ce poste est de 300 millions.
Selon Sylvie Robineau le poste du médicament est « le plus important, puisqu’il y a 7,2 milliards ( 60,336 millions €) de ventes de médicaments, et en plus, il a augmenté de près de 500 millions (4,19 millions €), d’une année sur l’autre ».
Le gouvernement calédonien estimait que les marges réalisées par les pharmaciens dans les 62 officines de Nouvelle Calédonie étaient trop importantes. La pharmacie est un commerce prospère dans les grandes villes calédoniennes. Ainsi à Nouméa récemment certaines pharmacies se sont revendues 450 millions CFP (Koumac) et 660 millions de francs CFP (soit 3,8 et 5.5 millions d’euros).

On pouvait s’en douter, les pharmaciens de Nouvelle Calédonie sont vent debout contre ce plan :
Dès l’annonce du plan de redressement de la RUAMM, en décembre 2011 et janvier 2012, il y a eu des actions virulentes des pharmaciens arguant le risque de la disparition de nombreuses pharmacies de brousse, avec baisse des rideaux et chantage au licenciement économique !

Le contexte économique est donc difficile pour certaines officines à Nouméa. Comme s’en inquiètent les syndicats, le nombre de sanctions disciplinaires, de harcèlement moral et de pression des salariés, serait en augmentation. Dans cette officine qui comptait sept employés, cette affaire sert-elle de prétexte pour licencier deux pharmaciens assistants, en particulier ceux qui avaient le plus d’ancienneté et étaient le mieux payés ?
Les deux pharmaciennes assistantes, deux femmes, ont eu leur entretien préalable le 27 mars 2012. En cause deux ordonnances destinées à la même patiente en sevrage alcoolique, pour laquelle il avait été délivré 24 boîtes de Baclofène à raison de 8 comprimés matin, 8 comprimés midi et 8 comprimés le soir.
La première pharmacienne se voit reprocher le renouvellement d’une ordonnance avec 24 boîtes de Baclofène et la deuxième l’autorisation de délivrance à la préparatrice.

Radio Rythme Bleu 3 avril 2012

Le 2 avril, la pharmacie où elles travaillaient a été bloquée par les syndicats au motif de licenciements abusifs.
Le pharmacien employeur a déclaré aux médias qu’elles avaient fait une faute lourde qui l’obligeait à les licencier, et que la patiente, sans son intervention, serait sans doute au cimetière, suite à une hépatolyse, pour avoir pris plus de 900 comprimés de baclofène en deux mois !
Voici la transcription de son interview sur la radio « Rythme Bleue » du 3 avril 2012 :
« Elles se sont permises, sans que je sois au courant, 24 comprimés de bacloféne par jour chez un malade pendant deux mois. J’ai réussi à bloquer seize boites que je devais à cette patiente. Elle a quand même eu le temps de prendre 960 comprimés de bacloféne. C’est des produits qui sont en liste 1, utilisés en France, je l’ai appris dernièrement, par des …, des malades, par certains médecins qui sont complètement en dehors de l’AMM, qui engagent donc leur responsabilité civile et pénale. Et le pharmacien qui délivre ses ordonnances engage aussi sa responsabilité civile et pénale. Donc cette personne aurait pu faire une hépatolyse foudroyante et aujourd’hui être au cimetière. »
Dans la littérature, on ne retrouve pourtant aucune mention d’une hépatolyse sous Baclofene. Dans la monographie suisse on trouve la notion de possibles perturbations du bilan hépatique. Je n’ai pas trouvé de décès sous surdosage en Baclofene. Cet article évoque une tentative d’autolyse avec 800 mg de Baclofene…. L’affaire s’est bien terminée pour le malade, mais l’auteur met en garde par contre les conséquences du syndrome de sevrage [2] en cas d’arrêt brutal ou de baisse trop rapide du traitement. Visiblement ce pharmacien n’est pas très bien formé sur la prescription du bacloféne et les conséquence d’un sevrage brutal !

En attendant que l’AFSSAPS prenne son courage à deux mains, les médecins prescripteurs et les pharmaciens qui délivrent, sont dans un no man’s land réglementaire.

Dans l’affaire de Nouméa, le médecin qui avait rédigé les prescriptions de bacloféne va témoigner pour sa liberté de prescription et sur la compétence des deux pharmaciennes pour la délivrance.

Lettre Professeur Bernard GRANGER

Le professeur Bernard GRANGER, psychiatre et addictologue, vient d’adresser une lettre au professeur Philippe Lechat, directeur de l’évaluation des médicaments à l’Afssaps.
Il lui demande « d’organiser une réunion d’experts dépourvus de conflits d’intérêts pour actualiser votre communiqué de juin 2011 sur le baclofène » et rappelle «  l’urgence de faciliter la prescription du baclofène à des malades atteint d’une maladie mortelle ».
Il précise que « Des dizaines de malades meurent tous les mois parce que la prescription de baclofène est découragée par vos services. Vous n’ignorez pas non plus qu’il y a dans le code pénal un article qui concerne la non assistance à personne en danger (Article 223-6). »

Pourtant même le Professeur Philippe Lechat [3], dans Paris Match du 11 avril 2012, convient que «  Les données de tolérance sur le baclofène sont relativement rassurantes. L’essai clinique va venir préciser quels sont les patients qui répondent favorablement, quelles doses employer et à quel rythme les augmenter. Il faudra monter progressivement les doses et définir un seuil maximal. C’est ce que font déjà les médecins qui prescrivent : ils augmentent progressivement le dosage. Mais je vous l’accorde, il faut trouver rapidement la façon d’encadrer la prescription hors AMM des médecins pour qu’ils ne se sentent pas seuls.  »

Le 12 avril, ces deux pharmaciennes viennent de recevoir leur lettre de licenciement pour faute grave.

NOUMEA, le 10 avril 2012
Madame Frédérique D.
LETTRE RECOMMANDEE AVEC AR
OBJET : Licenciement pour faute graveMadame,
Au cours de l’entretien préalable en date du 27 mars 2012, nous vous avons demandé de vous expliquer sur les agissements dont vous avez été l’auteur, à savoir :
Vous avez renouvelé le 22 mars 2012 l’ordonnance de Madame XXXXX à savoir 24 boîtes de BACLOFENE pour un mois de traitement. Ce qui correspond à la prise de 24 comprimés par jour soit 720 comprimés pour le mois.
Cette posologie est hors AMM (Autorisation de Mise sur le Marché)  [4] et aurait pu avoir des conséquences très graves pour la patiente.
Il vous appartenait comme vous en avez le devoir de refuser la délivrance de la quantité demandée non conforme, d’interroger le médecin prescripteur et de me tenir informé de cette situation.
Au cours de l’entretien, vous m’avez indiqué que vous n’aviez pas commis de faute, sans aucune autre explication.
L’ensemble de ces faits caractérise une faute inadmissible qui aurait pu mettre la santé voire la vie de la patiente en danger.
Votre attitude aurait pu engager ma responsabilité civile et pénale de sorte que ces faits constituent une faute grave.
Nous sommes donc contraints de mettre fin à votre contrat de travail, votre attitude rendant impossible la poursuite de votre activité professionnelle au sein de notre entreprise.
Par la présente, il vous est donc notifié votre licenciement pour faute grave, sans préavis, ni indemnité de rupture.
Vous ne ferez plus partie du personnel de l’entreprise à réception de cette lettre.
Votre certificat de travail et votre solde de tout compte sont à votre disposition à la pharmacie, ainsi que les salaires qui vous sont dus à ce jour.
Veuillez agréer, Madame, l’expression de nos sentiments distingués.
Le pharmacien gérant
NOUMEA, le 10 avril 2012
Madame Valérie B.
LETTRE RECOMMANDEE AVEC AR
OBJET : Licenciement pour faute graveMadame,
Au cours de l’entretien préalable en date du 27 mars 2012, nous vous avons demandé de vous expliquer sur les agissements dont vous avez été l’auteur, à savoir :
Vous avez autorisé le 27 février 2012 la délivrance de l’ordonnance de Madame XXXXX (même patiente que pour sa collègue) à savoir 24 boîtes de BACLOFENE pour un mois de traitement. Ce qui correspond à la prise de 24 comprimés par jour soit 720 comprimés pour le mois.
Cette posologie est hors AMM (Autorisation de Mise sur le Marché) et aurait pu avoir des conséquences très graves pour la patiente.
Il vous appartenait comme vous en avez le devoir de refuser la délivrance de la quantité demandée non conforme, d’interroger le médecin prescripteur et de me tenir informé de cette situation.
Au cours de l’entretien, vous m’avez indiqué que vous n’aviez rien n’a me dire et que vous n’aviez aucune explication à me donner.
L’ensemble de ces faits caractérise une faute professionnelle inadmissible qui aurait pu mettre la santé voire la vie de la patiente en danger.
Votre attitude aurait pu engager ma responsabilité civile et pénale de sorte que ces faits constituent une faute grave.
Nous sommes donc contraints de mettre fin à votre contrat de travail, votre attitude rendant impossible la poursuite de votre activité professionnelle au sein de notre entreprise.
Par la présente, il vous est donc notifié votre licenciement pour faute grave, sans préavis, ni indemnité de rupture.
Vous ne ferez plus partie du personnel de l’entreprise à réception de cette lettre.
Votre certificat de travail et votre solde de tout compte sont à votre disposition à la pharmacie, ainsi que les salaires qui vous sont dus à ce jour.
Veuillez agréer, Madame, l’expression de nos sentiments distingués.
Le pharmacien gérant