Le CLIO-Santé, (Comité de Liaison des Institutions Ordinales du secteur de la Santé) vient de publier une note sur la e-prescription.
Le schéma est simple. Grace à des logiciels métiers adaptés, les médecins mettent en ligne leurs ordonnances sur un site sécurisé. C’est sur cette base de données des e-prescriptions que les pharmaciens viennent télécharger les e-ordonnances afin de les délivrer aux patients dans les officines.
Une architecture trop pharmacocentrée
Comme le montre le schéma, les médecins sont un peu isolés. Ils consultent et alimentent le Dossier Médical Personnel (DMP), mais se contentent de déposer leurs ordonnances dématérialisées dans une base de données.
La base de prescription est en écriture seule pour les médecins. Seule l’alimentation est autorisée. Elle n’est pas connectée au volet “médicaments” du DMP ou au Dossier Pharmaceutique (DP).
Il est évident que ce système permet des gains de productivité pour les pharmaciens et pour l’assurance maladie.
Mais sans retour d’informations sur les autres prescriptions vers les médecins, il n’existe aucune valeur ajoutée métier pour eux.
Bonne idée, on lit que « la coordination des processus de prescription et de dispensation doit permettre la réduction d’éventuelles erreurs et l’amélioration de la qualité des soins ». Par contre cela pèche au niveau de la réalisation . En effet « tout problème lié à la prescription doit être signalé au prescripteur. Dans certains cas, ce dernier pourra décider de modifier cette prescription, ou éventuellement de l’annuler. La modification de la prescription sera rapportée dans la base de données et bien évidemment tracée ». Comme on le voit, les médecins continuent à prescrire à l’aveugle sans avoir accès directement et facilement à l’historique des prescriptions.
Bien entendu il existe l’Historique des Remboursements de l’assurance maladie, un des téléservices de l’Espace Pro mais il est peu pratique, lent et souvent indisponible. En outre il nécessite la présence de la carte Vitale du patient, il est mal organisé, il ne contient que les médicaments remboursés et surtout la CNIL interdit d’en recopier et d’en traiter les données.
Les médecins n’ont pas non plus accès à la base de données du Dossier Pharmaceutique (DP), plus exhaustive car contenant les 4 derniers mois des médicaments délivrés (remboursés et non remboursés).
Dans un monde idéal, le logiciel du médecin devrait pouvoir récupérer automatiquement une synthèse des traitements en cours du patient, prescrits par les différents médecins, une sorte de semainier virtuel. Correctement informé, le médecin pourrait ainsi éviter de prescrire de nouvelles thérapeutiques présentant des contre-indications d’association. Hélas dans l’architecture du CLIO-Santé ce sont les pharmaciens qui leur tapent sur les doigts en cas de découverte d’une interaction médicamenteuse liée à un traitement donné par un tiers !
Il serait beaucoup plus efficient de sécuriser en amont la prescription avec des outils modernes.
Des expérimentions prochaines ?
Selon la conclusion du CLIO-Santé « les médicaments et dispositifs médicaux étant tous codés, il est possible d’envisager une première « phase pilote » avec les pharmaciens, sur deux ou trois bassins de population choisis en fonction de leur dynamisme et de leur degré d’avancement dans la mise en œuvre des projets nationaux en matière de « e-santé ». Ces régions pourront tester les solutions proposées avec, au total, une centaine de pharmacies et de praticiens. Le même type de recherche devrait être réalisé concomitamment avec les laboratoires d’analyses médicales. »
C’est mettre la charnue avant les bœufs. En effet il existe plusieurs problématiques à régler auparavant :
La prescription des génériques : L’assurance maladie pousse à la prescription de génériques. La réglementation contraint même le pharmacien à substituer un princeps par un médicament du même groupe générique. Actuellement peu de logiciels métiers permettent aux médecins de prescrire directement en générique. Ainsi Axisanté contraint le médecin à sélectionner un princeps qui est ensuite DCIsé, c’est à dire traduit en générique. Or ces groupes génériques ne sont pas « codés », contrairement à ce qu’écrit CLIO-Santé. L’AMM, qui n’existe que pour une spécialité, est accompagnée par le Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP) [1] et de la notice pour le patient qui présente l’essentiel des informations du RCP dans un vocabulaire plus accessible. Une spécialité pharmaceutique peut être commercialisée sous différentes présentations, selon la taille ou la contenance du conditionnement bénéficiant chacune d’un code CIP.
La Loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé a été promulguée le 29 décembre 2011. Entre autres, elle renforce la prescription médicamenteuse dans les indications officielles d’autorisation de mise sur le marché. Or les AMM (les RCP, notices et monographies) sont liées aux princeps et pas aux dénominations communes (DC) ce qui pose un problème de traçabilité des prescriptions médicamenteuses pour les génériques ! Si on prend l’exemple du groupe générique Ropinorole les indications sont différentes selon les princeps copiés. L’Adartrel 0,25, 0,5 ou 1 mg est indiqué dans le « Traitement symptomatique du syndrome des jambes sans repos idiopathique modéré à sévère » alors que son sister-ship le REQUIP lui est indiqué dans la maladie de Parkinson !
Le Code CIP [2] est attaché à une forme galénique et à un packaging, mais, bien entendu, pas au groupe générique.
La non substitution : Autre détail, le Code de la santé publique oblige le médecin qui ne souhaite pas que le pharmacien substitue un princeps, par exemple le LEVOTHYROX, à écrire à la main et en toutes lettres la mention « Non substituable » devant le médicament concerné. La transposition numérique de cette disposition demande une modification réglementaire.
On lit dans la note que « la e-Prescription, associée à l’utilisation d’un logiciel d’aide à la prescription :
améliore les vérifications automatiques et la prévention d’erreur (allergies, contre-indications, interactions entre médicaments, dosage correct par rapport au poids et âge), permet aussi de découvrir la sur-prescription, la surconsommation et facilite la prescription par principe actif.
améliore la qualité de la prescription »
Dans un monde idéal certes, mais les membres du CLIO-Santé semblent ignorer la réalité des modules de prescriptions médicamenteuses déployés dans les logiciels médicaux. Deux seulement sont certifiés par la HAS alors que cette certification a été inscrite dans la Loi du 13 août 2004 !
Ainsi avec la dernière version d’Axisanté (Axilog-CompuGroup) le panneau des interactions médicamenteuses ressemble à un sapin de Noel avec ses multiples boules de couleur. Selon le module, certains médicaments donne même des contre-indications d’association avec eux même !
Il est donc tout à fait illusoire de vouloir expérimenter la dématérialisation de la prescription électronique avant d’avoir régler ces différents problèmes.
La RCP précise notamment : la dénomination du médicament, la composition qualitative et quantitative, la forme pharmaceutique, les données cliniques, …
Code C.I.P. : Chaque présentation d’une spécialité pharmaceutique est actuellement identifiée par un code dit « code CIP (Code Identifiant de Présentation) ». Ce code à 7 chiffres est mentionné dans la décision d’autorisation de mise sur le marché (décision et ses annexes) de toute spécialité pharmaceutique.
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