Dans Espace Pro, l’assurance maladie propose dorénavant de réaliser des « Avis d’arrêt de travail 5 clics ». Est-ce possible ?
Il faut d’abord réussir à lancer Espace Pro dans son navigateur et ce n’est pas une sinécure. De nombreux médecins n’arrivent plus utiliser les téléservices. Mon logiciel métier [1] a interfacé Espace Pro dans son propre navigateur. C’est Internet Explorer 10, mis à jour régulièrement par Windows Update, qui est utilisé. Il n’y a pas d’autres possibilités. Afin de pouvoir lire la carte Vitale j’ai été contraint de désactiver le mode compatibilité IE9. Hélas je ne puis dorénavant plus finaliser les Protocoles de Soins. En effet les scripts ne sont pas compatibles IE10. Il faut les terminer avec Firefox 11 ou Chrome. Ces navigateurs sont incompatibles avec le composant Vitale mais, coup de pot, on n’en a pas besoin pour rédiger des formulaires déjà créés.
Curieusement un message d’alerte s’affiche en bas de l’écran nous avertissant que Firefox 10.0 n’est pas compatible avec Espace Pro.
Normalement n’importe quel stagiaire en programmation sait déterminer quel est le navigateur lancé et sa version. A priori on se sait pas le faire à la sécu. Et puis nous en sommes déjà à la version 11.0 de Firefox (beta). Pour Mozilla l’Assurance Maladie a donc deux générations de retard ! C’est à ce genre de détail qu’on voit que le temps ne s’écoule pas à la même vitesse à la CNAM-TS.
Attention si on clique sur “Pour revenir à Firefox 9 cliquez ici”, cette opération n’installe point Firefox 9, mais débute la procédure des composants nécessaires à la gestion des cartes Vitale et de Professionnel de Santé (CPS).
Je suis médisant. Lors d’une nouvelle tentative à 20 h 02, on m’a proposé de télécharger la version 9.0.1 de FireFox mais de Mac Os X !
Il est 17 h 55. Je clique sur « Insérer la carte vitale d’un autre patient ».
Un premier sablier de 4 secondes apparaît.
“Identification patient : Insérez la carte Vitale du patient dans le lecteur pour accéder à ses informations médicales le concernant. ”
Je clique sur “Activer la lecture de sa carte”.
18 secondes de sablier plus tard, s’affichent les informations lues sur la carte Vitale. Je précise que je dispose d’un ordinateur très récent à processeur i7 équipé d’une mémoire de masse SSD et connecté à la dernière génération de lecteur bifente, l’excellent Vital’Act 3S de Xiring.
Attention, ce téléservice n’est pas disponible pour tous les régimes. Ce serait trop beau. D’une part il n’est utilisable que pour le régime général et la MSA. En outre on ne peut pas faire de certificat médical d’accident de travail ou de maladie professionnelle !
Je clique sur “Avis d’arrêt de travail 5 clics : Créer”
Premier clic : 6 secondes d’attente avant de voir s’afficher le fameux “Formulaire Avis d’arrêt de travail”.
Il existe certaines zones obligatoires indiquées par un astérisque.
Le premier c’est “Motif de l’arrêt de travail” :
Je clique une deuxième fois sur le menu déroulant qui s’affiche immédiatement. Cela surprend.
Il faut ensuite déplacer la souris et ouvrir un sous menu (sans clic).
Un troisième clic permet de choisir le motif. On doit patienter entre 3 et 8 secondes ensuite. C’est le temps qu’il faut pour télécharger un “Tableau des durées indicatives.”
Ainsi pour la grippe banale, l’assurance maladie recommande 7 jours ! Par contre pour une “Sciatique” avec “Travail sédentaire” c’est deux jours. Pour un “Travail physique léger avec charge ponctuelle < 10 kg ou charge répétée < 5kg” c’est trois jours de bonus. Quelqu’un qui effectue un “Travail physique lourd avec charge > 25kg” a droit à 35 jours.
Si le grippé a, en sus une sciatique et un travail sédentaire, à combien de jours a-t-il droit ?
Ne nous égarons pas. C’est une grippe, je valide par un 4éme clic la “Durée indicative Tout type d’emploi” de 7 jours.
Le patient grommelle : « Sept jours pour une gribbe ? Je bensais rebrendre le boulot lunbi ! »
Je réplique : « Regardez c’est les experts de la Haute Autorité de Santé qui preconisent cette durée »
Il plisse les yeux qu’il a larmoyants :« Ah oui ceux qui nous avaient fait beur avec la bandémie H1N1 ! »
« Heureusement, dans votre cas, je n’ai pas à remplir certaines rubriques comme : L’arrêt ne fait pas suite à un accident causé par un tiers ! »
Il réfléchit gravement : « Ben ya mon chef qui toussait et m’a refilé son virus ! »
Je survole les deux mentions suivantes, dont l’utilité ne nous semble pas manifeste à tous les deux :
“L’arrêt ne fait pas suite à une cure thermale”
“L’arrêt n’est en rapport en rapport avec l’affection pour laquelle l’assuré est pensionné de guerre ”.
Depuis 1998 nous devons ainsi cocher dans chaque Feuille de Soins Electronique (FSE), une case attestant que l’acte n’est pas en rapport avec un accident causé par un tiers. Cela rallonge, complexifie la génération d’une FSE et augmente notre responsabilité. Dans la première version de l’e-arrêt il fallait aussi que le toubib coche cette même case. Par défaut elle est à non dorénavant. Mais cela ne change rien sur le plan du transfert de responsabilité. Dans un avis d’arrêt de travail papier, ses différentes rubriques sont dans la zone “Assuré(e)”.
J’arrive à “Mon patient accepte que je transmette le présent avis d’arrêt de travail pour son compte et est informé des textes applicables. J’accepte les conditions de la transmission et j’ai pris connaissance des textes applicables.”
Un lien hypertexte ouvre lesdits textes. Je clique dessus. A nouveau 5 secondes de moulinage. Combien de temps faut-il pour informer le patient du contenu de ces textes assez abscons ? Cela dépend bien entendu de son niveau d’instruction et de la qualité de son écoute. Un type qui est gribbé, qui a le nez qui goule, est assez peu réceptif à ce type de littérature. Mais on n’a pas le choix, il faut lui expliquer tout en détail avant de cocher la case idoine. S’il ne pose aucune question et qu’il se contente d’opiner, vous pouvez prendre son reniflement pour un oui.
Il est cependant difficile de réaliser cette opération en moins de 3 minutes. Je ne sais pas si vous avez vu les séries policières américaines, mais le détective qui vient d’arrêter un suspect sort un bristol de sa poche et lui lit l’avertissement Miranda [2]. Ici c’est beaucoup plus long et nettement plus rébarbatif [3].
A chaque fois je flippe. Et si le suspect, pardon le malade, me demandait ce qu’est le 1er alinéa de l’article L.162-4-1 du Code de la Sécurité Sociale ?
Cela ne manque pas. Il pose une question : « C’est goi le Gode de la Ségu ? »
« Et bien c’est le livre de chevet de Frédéric Van Roekeghem, le grand sachem de la sécurité sociale Le soir quand il n’arrive pas à dormir ruminant les statistiques de l’ONDAM, il en lit un chapitre et s’endort tout de suite ».
Certains vont estimer que j’exagère, qu’on peut zapper cette longue explication. Si c’était le cas l’Assurance Maladie n’aurait pas inscrit ses précautions en fin de formulaire en les faisant précéder d’une case à valider obligatoirement façon CLUF !
Finalement je clique pour la 5éme fois sur la case attestant que le patient a bien compris ce fatras.
Mais ce n’est pas terminé. Il faut cliquer, une 6éme fois, sur le bouton “Transmettre” !
En moins de 3 secondes c’est parti. Une telle célérité dans un océan de lenteur surprend.
Il reste encore une étape. Un accusé d’envoi s’affiche : « L’avis d’arrêt de travail AAT-AS-014411101-120221-192204-466 de NORBERT GROSBENEAU a bien été transmis et déposé le 21 février 2012 à 17:59. L’accusé de dépôt ne fait foi que de la date et de l’heure dudit dépôt. »
En dessous il est écrit en rouge :« Nous vous rappelons qu’il est IMPERATIF de remettre à votre patient l’exemplaire qui lui est destiné ». Ce volet est destiné à des tiers : employeur, pôle emploi, … On nous indique « N’oubliez pas de signer le volet que vous remettez à votre patient »
Je clique donc une 7éme fois sur le bouton « Imprimer » !
Hélas comme indique la copie d’écran ci-contre, un message m’avertit que le service PDF est indisponible !
Et comment, Monsieur EspacePro, je fais pour “remettre au patient l’exemplaire qui lui est destiné” ?
Il existe une “Aide à l’utilisation du formulaire en ligne.” La réponse à l’énigme est certainement écrite dedans. J’ouvre le fichier PDF, je le parcours avidement. Rien. A la fin je lis « En cas de problème technique (dysfonctionnement du téléservice, incident en cours de saisie, restitution non-conforme à la saisie, avis de dépôt incomplet, …), vous pouvez joindre le support :
soit par le biais du formulaire prévu à cet effet dans Espace-pro
soit par téléphone au 0811 709 710 de 8h à 18h du lundi au vendredi (au prix d’une communication locale depuis un poste fixe). »
Je suppose que « … » s’applique à ma situation. Hélas il est 18 heures 03 et à la sécu avant l’heure c’est pas l’heure et après l’heure c’est plus l’heure !
Je ne vois qu’une solution. En effet le patient somnole dans son fauteuil en rêvant d’une boite de paracétamol et d’un lit douillet. D’une main je lui retiens le menton avant qu’il n’écrase son visage sur le bois de mon bureau. De l’autre je retire du tiroir un triptyque“ Cerfa N°10170*04”. Je sors mon stylo, je le remplis à la main en 10 secondes. Je le signe et je donne le 3éme volet au patient !
Après réflexion je lui refile les deux premiers volets. Il pourra se moucher avec.
En le raccompagnant à la porte, je lui explique qu’avec l’ancien système il fallait plusieurs jours, au moins une semaine ouvrée avant que le document papier ne soit transmis et traité par sa caisse. Le contrôle des arrêts courts était impossible. Avec ce téléservice, c’est de l’histoire ancienne, la caisse est au courant avant même qu’il ne quitte le cabinet.
Le grippé s’affole : « Ben alors je bourrais pas aller demain faire les courses chez Leroy-Berlin ? »
Je lui confirme que, effectivement, il pourra être contrôlé des potron minet et a donc intérêt de respecter strictement les heures de sortie réglementaires.
« Vous savez Docteur, la bernière bois que j’ai eu la gribbe, l’arrêt de trabail, je l’ai béchiré car cela allait bieux le batin ! »
Le malade n’a plus ce choix. Maintenant on ne peut plus revenir en arrière avec l’arrêt de maladie électronique. Le nombre de jours d’indemnités journalières risque de grimper.
P.S. En fait l’impression de documents PDF ne fonctionne pas avec le navigateur maison de mon logiciel utilisant Internet Explorer depuis au moins deux ans. La raison en reste inconnue à ce jour. L’éditeur Axilog-Compugroup n’a toujours pas proposé de correctif.
L’astuce consiste à exécuter d’abord Internet Explorer en mode autonome, d’y ouvrir l’Espace Pro, puis ensuite de lancer le navigateur de mon logiciel métier et d’y ouvrir l’Espace Pro.
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